Si Liszt se dira ébloui lors de la première de Lohengrin à Weimar en 1850, la création n’emporta pas l’adhésion du public. Pourtant quelques mois plus tard, Lohengrin suscitera selon Piotr Kaminski un « enthousiasme délirant » dans toute l’Allemagne, ouvrant aussi à Wagner les portes de l’Italie avec la création à Bologne en 1871. Très inspiré des lectures médiévales de Wagner, Lohengrin, le chevalier au cygne, célèbre l’amour courtois et le pouvoir royal, le triomphe de la religion chrétienne sur les antiques dieux païens le respect du serment et la force des interdits (le fratricide en particulier)
De la mise en scène de Kirill Serebrennikov on ne peut que se dire qu’elle présente tous les tics et les erreurs du Regietheater et les incohérences inhérentes à des parti pris obsessionnels de mise en scène qui ignore délibérément l’œuvre originale et les intentions du compositeur. De fait, cette mise en scène est incompréhensible si on ne prend pas préalablement connaissance des intentions dramaturgiques. Terrible destinée de l’opéra que de ne pouvoir être simplement compris par le spectateur sans la médiation d’un dramaturge pédagogue…. A la lecture, on comprend donc qu’Elsa est psychologiquement perturbée depuis la mort de son frère à la guerre, ce qui justifie son internement en asile psychiatrique, dirigé par Ortrud et Telramund. Lohengrin n’est plus qu’un objet fantasmé par Elsa, sorte d’ami imaginaire ou d’ange gardien destiné à protéger son esprit malade, ou incarnation spirituelle du frère disparu. Par ailleurs, la mise en scène fait de la guerre le sujet central de l’œuvre, alors qu’elle n’est qu’une toile de fond épisodique dans le livret original, accumulant ainsi les décalages avec le texte de Wagner pour ne pas dire les incohérences. Si l’on ajoute à ce constat déjà attristant une débauche d’effets, de sollicitations visuelles du spectateur (6 à 8 tableaux pendant pratiquement tout le spectacle !), celui-ci est en permanence interrogé par une foule d’images dont la recherche de sens perturbe son écoute. Bref, une mise en scène confuse, brouillonne et qui, si elle n’est pas dénuée de certaines beautés voire de trop rares fois, d’une certaine force, témoigne avant tout d’une incompatibilité avec ma perception de l’art lyrique.
Heureusement, le plateau est beaucoup plus convaincant, dominé par le superbe Lohengrin de Piotr Beczala qui m’a beaucoup touché au III, sa narration de l’histoire du Grall étant particulièrement convaincante, toute empreinte de nuances.
Johanni van Oostrum semblait en difficulté en début de soirée, présentant un timbre voilé et des aigus très tirés mais peu à peu elle a retrouvé ses moyens et nous a gratifié d’une impressionnante scène d’affrontement avec Ortrud à la fin du II.
Ortrud, précisément, c’est Ekaterina Gubanova qui ne fait qu’une bouchée de ce rôle de méchante. Tour à tour, ensorceleuse, manipulatrice, profondément malveillante, elle plie sa voix et son interprétation à une magistrale incarnation de son personnage. Face à sa performance, le Telramund de Wolfgang Koch semble plus limité en moyens vocaux mais il réussit lui aussi une belle interprétation de son personnage, qu’il nous présente en proie à des tourments continuels et de fait plus pitoyable que fourbe et machiavélique.
Le Roi Heinrich de Kwangchul Youn m’a semblé manquer de l’autorité et de la puissance du personnage qui, par ailleurs mal servi par la mise en scène, paraît vraiment falot. Le Héraut de Shenyang était de mon point de vue autrement plus convaincant au plan vocal.
Les chœurs, sous la direction de Ching-Lien Wu, ont apporté une très belle contribution à cette soirée, leur puissance, leur homogénéité et leur grande capacité de nuances et d’expressivité servant à merveille la partition.
Mais le grand triomphateur de la soirée, c’est à l’évidence le chef Alexander Soddy qui parvient à imposer la musique dans le fatras de mise en scène imposé au spectateur. Précis, très engagé, il emmène l’Orchestre de l’Opéra à très haut niveau, imprégnant toute l’interprétation d’une tension dramatique électrisée tout en sachant rendre des trésors de finesse, de subtilité et de divin. Une splendide réussite largement ovationnée par le public.
Crédits photographiques © Charles Duprat / Opéra national de Paris
Programme et distribution :
Richard Wagner (1813-1883)
LOHENGRIN
Opéra romantique en trois actes
Livret en allemand de Richard Wagner
Créé le 28 août 1850 à Weimar (Grosses Fürstliches Hoftheater)
Lohengrin : Piotr Beczała
Ortrud : Ekaterina Gubanova
Heinrich der Vogler : Kwangchul Youn
Friedrich von Telramund : Wolfgang Koch
Elsa von Brabant : Johanni van Oostrum
The King's Herald : Shenyang,
1st Nobleman of Brabant : Chae Hoon Baek
2nd Nobleman of Brabant : John Bernard
3rd Nobleman of Brabant : Bernard Arrieta
4th Nobleman of Brabant : Julien Joguet
Mise en scène : Kirill Serebrennikov
Décors : Olga Pavluk
Costumes : Tatyana Dolmatovskaya
Lumières : Franck Evin
Vidéos : Alan Mandelshtam
Chorégraphie : Chorégraphie
Orchestre de l'Opéra national de Paris
Chœurs de l'Opéra national de Paris, chef de Chœur Ching-Lien Wu
Direction musicale : Alexander Soddy