Légende dramatique en quatre parties, créée sous la direction de Berlioz lui-même à l'Opera Comique en 1846, l'ouvrage n'est pas vraiment un opéra, au sens habituel du terme. Construit peu à peu à partir des Huit scènes de Faust (1828), dans un style "décousu" assumé explicitement par le compositeur, l'ouvrage tient plus du poème symphonique ou de l'œuvre chorale que de l'opéra. Outre l'absence d'ouverture, le caractère limité des interactions entre les personnages, la place prépondérante des chœurs et de l'orchestre, un récit narratif davantage contemplatif que descriptif, et enfin la relative faiblesse de l'action dramatique organisée situent cette œuvre davantage dans le monde de l’oratorio ou de la cantate que dans celui de l’opéra. Berlioz lui-même parlait d’ailleurs d’opéra de concert.
La création de l’œuvre fut un échec et elle ne connut que deux représentations et aucune reprise en France du vivant de Berlioz. Le retour à l’affiche de La Damnation de Faust est daté de 1877 et, depuis cette date, son succès ne s’est pas démenti, rendant justice à une écriture musicale particulièrement riche, inventive et puissamment évocatrice.
Alors que cette œuvre est un de mes ouvrages favoris, je ne peux que faire part d’une forme de déception de la version de concert donnée dans le cadre du 90ème anniversaire de l’Orchestre national de France, créé en 1934.
En premier lieu, la direction de Cristian Măcelaru privilégie une lecture très sage d’une partition qui appelle des accents violents et sauvages. Soulignant la joliesse de la musique, il passe à côté de l’ouvrage. Seule la Course à l’abime trouvera les accents nécessaires. On peut aussi reprocher à cette direction des équilibres mal assurés entre les différents pupitres du National, dont les bois sont ce soir trop dominants… On regrette d’autant plus cette direction plan-plan que l’on perçoit tout au long de la soirée la richesse des couleurs et des nuances dont l’Orchestre national de France est capable et coutumier et qui ne seront que fort peu utilisées ce soir.
Le Chœur de Radio France assume sa partie considérable avec panache, sachant trouver les accents nécessaires à ses différentes interventions : les étudiants, les feux follets, les chœurs religieux, les villageois, les enfers sont évoqués avec un égal bonheur. Le chant est précis et la diction française irréprochable.
John Irvin est un Faust fragile : la voix n’a pas une grande puissance, le timbre n’est pas doté d’une séduction évidente et le chant placé très haut dans le masque ne lui permet que difficilement de valoriser son Faust. Il affronte avec courage cette énorme partition et ses difficultés, dispensant quelques très beaux aigus. Sa diction est très bonne et son chant s’appuie sur une véritable intelligence du texte.
A son côté, Stéphanie d’Oustrac est en méforme, rencontrant des difficultés aux deux extrémités de son registre qui sonne de ce fait un peu étriqué. Un vibrato lourd et envahissant affecte son chant et ne lui permet pas de caractériser l’innocence, la simplicité et la naïveté de Marguerite. Pourtant les qualités théâtrales sont intactes mais les difficultés techniques se sont imposées ce soir.
En revanche Paul Gay est en pleine possession de ses moyens. La voix est sonore, la diction parfaite et le chant diabolique à souhait. Son jeu de scène qui sait se faire séducteur autant que moqueur lui donne une présence scénique évidente et lui permet de se jouer du texte et de la musique avec une ironie parfaitement dosée.
Frédéric Caton est un excellent Bander et interprète une belle et drôle Chanson du rat.
Au total, un sentiment de déception face à une interprétation un peu trop scolaire, appliquée mais qui ne fait pas vibrer cette musique pourtant éblouissante. Ce soir, seuls Paul Gay et le Chœur de Radio France parviennent à en restituer les pulsations.
Crédits photographiques © Jean-Yves Grandin
Programme et distribution :
Hector BERLIOZ (1803-1869)
LA DAMNATION DE FAUST
Légende dramatique en quatre parties
Livret en français de Berlioz et d’Almire Gandonnière
Créé le 6 décembre 1846 (concert) à Paris (Opéra-comique) et le 18 février 1893 à Monte Carlo (Opéra).
Faust : John Irvin
Marguerite : Stéphanie d’Oustrac
Méphistophélès : Paul Gay
Brander : Frédéric Caton
Orchestre National de France
Chœur de Radio France, direction Josep Vila I Casañas
Direction musicale : Cristian Măcelaru