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Operaphile

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Comptes rendus de spectacles lyriques... entre autres choses....


11 décembre 2023 – L’Enlèvement au Sérail (Mozart) au Théâtre des Champs Elysées

Publié par Jean Luc sur 13 Décembre 2023, 18:44pm

Catégories : #Opera version concert

Commande impériale pour la venue du futur tsar Paul Ier, l’Enlèvement au Sérail est destiné à la compagnie théâtrale permanente créée par l’empereur d’Autriche pour mettre en avant le Singspiel, forme de spectacle dont la filiation avec l’opéra-comique français est évidente et qui préfigure ce que sera l’opérette viennoise. Le livret est écrit par le directeur du théâtre, avec une polémique sur le possible plagiat de la pièce de Bretzner, et se rattache au foisonnement des « turqueries » propre à cette dernière partie du XVIIIe siècle. La création, retardée car déprogrammée pour la visite russe, se fait avec des chanteurs de très grand renom, notamment pour les rôles de Constance, Belmonte et Osmin et obtient un triomphe. C’est au cours des représentations de l’Enlèvement que Mozart épousa Constance Weber. C’est aussi à propos de cet opéra que le célèbre « trop de notes » de Joseph II aurait été prononcé. Rapidement, l’Enlèvement sera repris partout dans l’Empire et en Allemagne puis, plus tardivement dans le reste de l’Europe et il restera longtemps l’œuvre la plus célèbre de Mozart. L’ouvrage ne quittera jamais vraiment le répertoire, malgré un livret qui ne rend pas justice à la musique et au sens du théâtre de Mozart.

Disons-le tout de suite, cette version m’a un peu agacé dans les choix, de mon point de vue peu cohérents, des textes parlés. Les confier au seul interprète de Selim n’est pas vraiment conforme à la nature du Singspiel, ni de les confier à un comédien comme Eric Ruf dont le talent indéniable ne réside pas dans la verve comique et qui souligne à l’envi le caractère poétique, certes pleinement assumé par l’adaptation en français du texte par Ivan Alexandre mais qui, là encore, trahit l’esprit du Singspiel. Enfin la sonorisation de ces monologues vaguement pédants crée un contraste sonore désagréable avec l’orchestre et les chanteurs.

Si on oublie ce (très gros) loupé, la soirée avait néanmoins énormément d’atouts.

Florie Valiquette surmonte sans problème le rôle si difficile de Constance (dans lequel elle n’était pas initialement distribuée). Certes la voix est encore un peu légère mais la virtuosité est sans faille et ses talents d’interprète font merveille : très émouvante dans « Ach ich liebte » ou « Traurigkeit », elle réussit un formidable duo avec Belmonte, plein d’émotion et de tendresse et survole le redoutable « Martern aller Arten » avec une facilité d’autant plus déconcertante qu’elle réussit, simultanément à la prouesse pyrotechnique, à interpréter l’angoisse et la rage du personnage à ce moment précis de l’œuvre. Rarement cet air m’a semblé autant résonner comme un défi jeté au visage de Sélim.

Levy Sekgapane fait de superbes démonstrations de l’agilité de sa voix, de la justesse de son positionnement, de son aptitude à la virtuosité et de la facilité de l’aigu. Lui aussi surmonte sans problème et sans tricherie les nombreuses et redoutables difficultés du rôle. Mais son interprétation du personnage de Belmonte, qui n’est certes pas, reconnaissons-le, le personnage masculin le plus intéressant des ouvrages lyriques, aurait pu appeler un peu plus d’incarnation, un peu plus de passion amoureuse.

En Osmin, Sulkhan Jaiani est vocalement impressionnant mais est-ce bien un Osmin ? Très à l’aise dans les graves les plus profonds, il dispose d’une voix au bel ambitus et qui est très homogène. Pourtant, le style n’est pas toujours adapté et il m’a souvent semblé peu à l’aise dans la marque comique du personnage. Même si on peut lui être reconnaissant de nous épargner les excès farcesques de certains interprètes, j’aurais quand même aimé une scène d’ivresse un peu plus comique.

La Blonde de Florina Ilie appelle un avis très contrasté : la voix est pleine, le timbre charmeur, les qualités d’interprète indéniables. Mais la justesse manque parfois (et je ne parle pas que du contre-mi de « Durch Zärtlichkeit »), et les vocalises sont un peu trop savonnées à mon goût.

Le Pedrillo de Sahy Ratia est tout à fait remarquable. A un engagement physique important et un souci de l’incarnation permanent, il ajoute un timbre charmeur, au medium captivant dans un rôle dont l’écriture lui sied impeccablement. 

A la tête d’un Concert de la Loge en très grande forme, Julien Chauvin se régale d’évidence à interpréter cet ouvrage. Dès les premières notes de l’ouverture, on ressent qu’on va entendre un Mozart frissonnant, moqueur et tendre ; toute la soirée est irriguée par cette lecture tout en tension, sans aucun relâchement, qui entraîne les cordes et les bois dans des moments parfaitement superbes.

Au final, c’est ainsi une superbe soirée mozartienne qui s’est déroulée, très applaudie avec un chef et un orchestre très engagé et des prises de rôles toutes intéressantes. Si le traitement du texte parlé avait été à la même hauteur, on aurait touché à l’exceptionnel.

 

Crédits photographiques : © Jean-Yves Grandin

 

Programme et distribution :

Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791)

L’ENLEVEMENT AU SERAIL

Singspiel en 3 actes

Livret en allemand de Gottlieb Stephanie, d’après Bretzner

Créé le 16 juillet 1782 à Vienne, Burgtheater

 

Constance : Florie Valiquette

Belmonte : Levy Sekgapane

Blonde : Florina Ilie

Osmin : Sulkhan Jaiani

Pedrillo : Sahy Ratia

Selim (rôle parlé) : Eric Ruf

 

Le Concert de la Loge

Chœur Fiat Cantus, direction Thomas Tacquet

 

Direction musicale : Julien Chauvin | direction

11 décembre 2023 – L’Enlèvement au Sérail (Mozart) au Théâtre des Champs Elysées
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