Le Boris Godounov de Moussorgski, inspiré d’une pièce de Pouchkine, connut plusieurs versions : une première composée entre 1868 et 1869, rejetée par la censure car il était alors interdit de représenter le tsar sur une scène lyrique et officiellement pour cause d’absence de premier rôle féminin. Une seconde version voit le jour en 1872 et après de multiples obstacles finira par être créée en 1874, au prix de coupures gigantesques. Si la création semble avoir été un succès, il n’y aura qu’une dizaine de représentations en 1874 et quelques-unes dans les années suivantes. C’est la réécriture par Rimski Korsakov qui sauvera l’œuvre de l’oubli avec des séries de représentations à partir de 1896 et de nombreuses retouches jusqu’au début du XXème siècle.
C’est la version originelle de 1869 que présente cette série de représentations au Théâtre des Champs Elysées. Centrée sur le rôle-titre, l’exercice du pouvoir, la gloire et la décadence du Tsar, c’est la version la plus ramassée et peut être aussi la plus sombre et la plus audacieuse, même si elle est théâtralement franchement imparfaite. On se prend parfois à imaginer que la suppression de scènes inutiles voire étranges dans le déroulement du drame (comme la scène interminable de l’auberge ou encore celle dans laquelle Xenia vient pleurer un fiancé mort) aurait pu conduire Moussorgsky à une cantate brutale et efficace.
Si la mise en scène d’Olivier Py est efficace et appréciée du public, elle est souvent lourdingue (l’apparition du tableau représentant Staline et Poutine, le Z de la milice Wagner, l’architecture URSS, l’innocent en nuisette souillée …) et reproduit les tics de mise en scène actuels jusqu’au trop plein (les mitraillettes, les beaux gosses torse nu, la ballerine face au soldat, les drapeaux brandis et agités …)
La mise en scène est tellement chargée qu’elle finit par nuire au drame qu’il lui faudrait soutenir, surtout compte tenu de la faiblesse de la dimension théâtrale de cette version originelle. Las, c’est l’inverse qui se produit et qui finit par distiller de l’ennui.
Et ce d’autant que la direction d’Andris Poga ne brille pas davantage par sa capacité à animer une action mal ficelée. Et les moments forts de la partition – couronnement de Boris, mort de Boris notamment- deviennent un peu fades et manquent franchement de rugosité, dans une interprétation qui peine à caractériser les différentes ambiances, ce qui est d’autant plus regrettable que l’on connait la capacité de l’Orchestre national de France a précisément briller dans cette caractérisation.
Ce caractère retenu de la direction permet néanmoins au Chœur du Capitole de Toulouse de donner toute sa mesure dans une partition qui lui donne un rôle central. Chacune des interventions du Chœur est réussie, que ce soient les scènes liturgiques, les apparitions d’un peuple accablé, ou les révoltes larvées et craintives…
Porter le rôle-titre est une gageure et c’est à Alexander Roslavets, qui a remplacé Matthias Goerne initialement prévu que revient cette responsabilité. Le défi est relevé avec panache et un talent certain. L’incarnation traverse les différents états psychologiques de Boris avec la même conviction et la même efficacité, effrayante juste ce qu’il faut. Et on se prend à rêver de ce qu’aurait pu être cette soirée avec une direction qui aurait fait rugir l’orchestre avec toute la raucité requise.
Dans sa quasi-totalité, la distribution est brillante et très adaptée à ce répertoire. Avec une mention spéciale pour Marius Brenciu qui est un Prince Chouïski veule et fourbe à plaisir et dont la belle voix de ténor est très efficace dans ce rôle, pour le Fiodor de Victoire Brunel très convaincante dans ce rôle travesti et pour Airam Hernandez qui nous fait ressentir toute l’ambition de Grigori. Tous les autres chanteurs sont tout à fait à leur place même si j’ai été un peu déçu par le Pimène très (trop) placide de Roberto Scianduzzi et par la Xenia au timbre un peu trop acide de Lila Dufy.
Si le public a semblé beaucoup apprécier cette représentation, je dois à la vérité de dire que je n’ai qu’à de rares exceptions réussi à entrer dans l’émotion que cette œuvre doit pourtant dispenser.
Crédits photographiques : © Mirco Magliocca
Programme et distribution :
Modeste MOUSSORGSKI (1839-1881)
BORIS GODOUNOV
Opéra en quatre actes
Livret en russe du compositeur, d’après Pouchkine
Créé le 8 février 1874 à Saint Petersbourg (Théâtre Marinski).
Boris Godounov : Alexander Roslavets
Fiodor : Victoire Bunel
Xenia : Lila Dufy
La Nourrice : Svetlana Lifar
Le Prince Chouïski : Marius Brenciu
Andreï Chtchelkalov : Mikhail Timoshenko
Pimène : Roberto Scandiuzzi
Grigori Otrepiev : Airam Hernández
Varlaam : Yuri Kissin
Missaïl : Fabien Hyon
L’Aubergiste : Sarah Laulan
L’Innocent : Kristofer Lundin
Mitioukha : Barnaby Rea
Nikititch : Sulkhan Jaiani
Mise en scène : Olivier Py
Scénographie et costumes : Pierre-André Weitz
Lumières : Bertrand Killy
Orchestre National de France
Chœur de l’Opéra National du Capitole, direction Gabriel Bourgoin
Maîtrise des Hauts-de-Seine, direction Gaël Darchen
Direction musicale : Andris Poga