Omnipotence de Lully oblige, cet « opéra chrétien » ne fut représenté que dans le cadre très particulier du collège jésuite Louis-Le-Grand, avant sa re-création à l’Opéra de Lyon en … janvier 1981 sous la direction de Michel Corboz.
Lors de la représentation au collège Louis-le-Grand en 1688, l’ouvrage était entrelacé avec une Tragédie de Saül en latin qui, après le prologue commun, faisait alterner les 5 actes récités en latin et les 5 actes chantés en français, au long, donc, de 11 numéros. La tragédie en latin étant perdue, l’écrivain Wilfried N’Sondé a été chargé de renouer avec la construction inhabituelle de l’œuvre, au moyen d’un texte plutôt efficace et déclamé avec une tendresse remarquable par Hélène Patarot, saisissante dans la déclamation de son rôle de « Reine des oubliés ». Il n’en demeure pas moins que cette tentative ne répond pas à son ambition de restitution historique puisqu’elle ne narre aucunement l’action historique qui se déroule sous nos yeux et ne sert que les intentions de mise en scène sur lesquelles je vais revenir plus bas.
Autant je m’étais un peu ennuyé, du moins au début, dans la Médée du même Charpentier donnée dans ce même théâtre en 2023 (voir ici), autant, j’ai été saisi par la musique de ce David et Jonathas dès les premières notes du Prologue.
A la mise en scène, Jean Bellorini nous inflige un spectacle décevant. Ignorant la dimension éducative de l’œuvre et ses très nombreux aspects religieux et moraux, il fait le choix de centrer sa lecture sur Saül pour souligner le caractère fratricide et dévastateur de la guerre, dimension certes présente dans l’œuvre mais qui n’en constitue pas l’épine dorsale. Ajoutons à cela des costumes bigarrés, des évocations de l’empire inca, des allusions à la Fête des morts d’Amérique centrale, ou à la Chine impériale, des soldats des guerres du XXe siècle, des costumes globalement d’une grande laideur, des choix mystérieux de couleurs particulièrement clinquantes pour David (en rouge) et Jonathas (en jaune citron), des maquillages sophistiqués mais laids et incompréhensibles… Ce travail brouillon rend l’œuvre tellement illisible qu’à l’entracte (après 1H25 de spectacle, quand même) plusieurs spectateurs s’interrogent, faute d’avoir reconnu les rôles et les acteurs du drame. Un comble pour une mise en scène ! Et je passe sur la paresse intellectuelle qui conduit à situer l’action dans un hôpital psychiatrique et à inonder le plateau (et la salle) de fumée et d’obscurité ce que nous avons vu des dizaines de fois (on devrait d’ailleurs mettre une taxe sur les mises en scène qui se passent dans un hôpital, un HP, un EHPAD).
Heureusement, la fosse ne se livre pas à de telles complaisances et délivre une représentation en tout point remarquable. Il faut ici saluer l’excellence du travail de Sébastien Daucé, qui restitue à merveille la puissante expressivité de cette musique faite pour exposer les sentiments (l’action étant plutôt décrite par la tragédie en latin). L’Ensemble Correspondances est superbe de rondeur et de couleurs tout au long de la partition et les équilibres sont superbement assurés par Sébastien Daucé qui met aussi en valeur un continuo particulièrement présent. Parmi de très nombreux moments de grâce absolue on ne peut que relever la sublime scène de la mort de Jonathas, émouvante à l’extrême. Le chœur de l’Ensemble est également impeccable de présence et assume pleinement toutes ses interventions, qu’il sait colorer en fonction du rôle qu’il a à jouer.
J’étais un peu inquiet de Petr Nekoranec en David car j’avais beaucoup aimé ses French arias qui montrait plus un ténor lyrique qu’un haute-contre. Mais ce fut, de mon point de vue, la prestation la plus aboutie, la plus travaillée de la représentation. Le recours à la voix mixte est magistralement maitrisé, sans rupture apparente dans le chant et la déclamation et sans aspérité des notes de passage. Très à l’aise sur scène, il semble l’être aussi dans une partition aux difficultés pourtant redoutables, et incarne avec facilité un David héroïque et très émouvant, notamment dans la dernière scène. Sa présence physique est réelle et sa diction française est quasi-irréprochable et d’un excellent niveau.
Gwendoline Blondeel est également un impeccable Jonathas qu’elle incarne avec conviction, grâce à une voix lumineuse dont les riches couleurs servent parfaitement l’émotion lors de la mort de son personnage. Son Jonathas est comme un petit frère de David, qu’il admire visiblement et auquel il vouera une amitié solide et brave malgré le conflit qui s’impose à eux et qui le conduira au trépas.
Moins sonore, Jean-Christophe Lanièce incarne avec talent le Saül dévoré de folie et de remords voulu par la mise en scène. Il domine sa partition avec une voix saine et solide dont le timbre est velouté.
J’ai été moins convaincu par la Pythonisse de Lucile Richardot qui en fait trop dans les couleurs et les nuances comme si elle voulait compenser par une expressivité excessive et un peu éloignée de l’esthétique de l’œuvre, un rôle un peu bref.
Etienne Bazola réussit à incarner un Joabel sournois et vénéneux alors même que son personnage est totalement négligé par la mise en scène. Bel exploit !
Enfin Alex Rosen, malgré une voix sombre, riche et parfaitement projetée, connait quelques difficultés avec les graves abyssaux de Samuel. Il semble beaucoup plus à l’aise en Achis, qu’il incarne vaillamment et dont il souligne la veulerie.
Très belle soirée en réalité que cette représentation de ce rare David et Jonathas, saluée par un gros succès aux saluts et une jolie bronca pour l’équipe de mise en scène.
Crédits photographiques : © Philippe Delval et © Jean-Yves Grandin
Programme et distribution :
Marc-Antoine CHARPENTIER (1634-1704)
DAVID ET JONATHAS
Tragédie en musique en 5 actes et un prologue
Livret en français du Père Bretonneau
Créé le 28 février 1688 à Paris, par les élèves du collège Louis-le-Grand
David : Petr Nekoranec
Jonathas : Gwendoline Blondeel
Saül : Jean-Christophe Lanièce
La Pythonisse : Lucile Richardot
Joabel : Etienne Bazola
L’ombre de Samuel/ Achis : Alex Rosen
Hélène Patarot, comédienne
Mise en scène et lumières : Jean Bellorini
Scénographie : Jean Bellorini, Véronique Chazal
Costumes : Fanny Brouste
Maquillages et masques : Cécile Kretschmar
Texte du récit : Wilfried N’Sondé
Ensemble Correspondances
Direction musicale : Sébastien Daucé