Après une création triomphale en 1902 réunissant – excusez du peu - Caruso, Angelica Pandofini et Giuseppe de Luca, l’ouvrage fut rapidement dans les années suivantes représenté un peu partout en Italie et dans le monde entier mais les reprises s’espacent à partir de 1910 même si l’œuvre ne disparait jamais de la programmation des plus grandes maisons. Inspirée de la vie artistique et amoureuse bien réelle de l’actrice Adrienne Lecouvreur et de la pièce à succès de Scribe et Legouvé, l’opéra se fait l’écho d’une histoire fantasmée ( ? ), largement entretenue par Voltaire, qui dédia des vers célèbres ( Que vois-je ? Quel objet ! Quoi ! Ces lèvres charmantes/ Quoi ! Ces yeux d’où partaient ces flammes éloquentes, /Eprouvent du trépas les livides horreurs !) à cette actrice hors pair.
La version de concert proposée par le TCE nous évite les perruques, les bas de soie et les robes à panier et cela ne nous manque pas, tant cette version dirigée par le très talentueux Daniele Rustioni a fait de cette soirée une soirée d’exception. Toute en puissance, la direction diaboliquement précise de Rustioni donne à l’œuvre un souffle lyrique, une authentique respiration, emplie de nuances, très attentive aux équilibres. Le chef ne néglige aucun pupitre de l’excellent orchestre de l’Opéra de Lyon, aucun chanteur, témoignant d’une présence incroyable à tout moment de cette partition qui n’est pas un des sommets de l’art lyrique mais à laquelle il donne un frémissement continu qui devient bouleversant au fur et à mesure de la soirée jusqu’à ces dernières mesures qui se déploient comme une dernière expiration…. C’est avec raison qu’il est ovationné en fin de représentation par une salle hélas pas totalement remplie.
Autre triomphatrice, Tamara Wilson déploie un chant aux infinies nuances, soutenu par une voix d’une grande beauté, pleine et homogène sur toute sa tessiture. Tout y est et tout lui sourit ce soir : des piani superbes, des aigus filés d’anthologie, un sens de la tragédie inouï, un parlando époustouflant dans le monologue de Phèdre, une émission parfaitement contrôlée. Les deux grands airs archi connus (et exécutés à la perfection) que la partition lui donne apparaissent presque comme anecdotiques tant sa présence est intense.
Face à elle la rivale interprétée par Clémentine Margaine appelle tout autant d’éloges. La voix large, au matériau dense et épais est parfaitement homogène et délivre des graves somptueux. L’interprétation du personnage est vénéneuse à souhait, jouant avec une incroyable facilité des changements de registre, sans jamais surjouer, incarnant avec réussite une femme amère et délaissée.
J’ai été un peu moins séduit par le Maurice de Saxe de Brian Jagde, qui a pourtant une très belle prestance, une incontestable puissance d’émission, un aigu brillant et un timbre très chaleureux mais dont l’interprétation m’a semblé manquer un peu de subtilité et de diversité dans l’interprétation d’un personnage qui appellerait de mon point de vue un peu plus d’ambiguïté.
Epaté en revanche par le Michonnet de Misha Kiria qui aligne un chant d’une vivacité séduisante et d’une très grande élégance, dépourvu d’effets faciles. Le timbre est superbe, le chanteur varie les couleurs et les nuances, déployant un vrai talent dans le mesa di voce et rendant très émouvant ce personnage crucifié par la déception amoureuse.
Le duo des complices Bouillon et Chazeuil est assez convaincant même si la basse très sonore de Maurizio Muraro étouffe un peu la subtilité du chant du ténor Robert Lewis.
Les quatre comédiens (Giulia Scopelliti, Thandiswa Mpongwana, Pete Thanapat et Léo Vermot-Desroches) sont tout à fait à la hauteur avec une mention toute particulière pour l’élégance de chant de Léo Vermot Desroches qui transparait même dans ce petit rôle de Posson.
Crédits photographiques : © Jean-Yves Grandin
Programme et distribution :
Francesco CILEA (1866-1950)
ADRIANA LECOUVREUR
Opéra en 4 actes
Livret en italien d’Arturo Colautti, d’après Scribe et Legouvé
Créé le 6 novembre 1902 à Milan, Teatro Lirico
Adriana Lecouvreur : Tamara Wilson
Maurizio de Saxe : Brian Jagde
La Princesse de Bouillon : Clémentine Margaine
Michonnet : Misha Kiria
Le Prince de Bouillon : Maurizio Muraro
L’Abbé de Chazeuil : Robert Lewis
Mademoiselle Jouvenot : Giulia Scopelliti*
Mademoiselle Dangeville : Thandiswa Mpongwana
Poisson : Léo Vermot-Desroches
Quinault : Pete Thanapat
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Lyon
Chef de chœur : Benedict Kearns
Direction musicale : Daniele Rustioni