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Operaphile

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Comptes rendus de spectacles lyriques... entre autres choses....


11 octobre 2016 - Proserpine (Camille Saint-Saëns) à l'Opera royal de Versailles

Publié par Jean Luc sur 12 Octobre 2016, 19:12pm

Catégories : #Opera mis en scene

Exceptionnel. C'est l'adjectif qui vient à l'esprit après cette remarquable soirée due en grande partie à l'acharné et imposant travail de résurrection du répertoire romantique français conduit par le Palazetto Bru Zane sous la houlette artistique d'Alexandre Dratwickl.

Créée le 14 mars 1887 à l'Opéra Comique, l'œuvre conte, selon Saint-Saens lui-même l'histoire de "deux jeunes gens (qui) se jouent du cœur d'une femme et cette femme en meurt". Bien sûr, l'argument, qui se situe au XVIème siècle est un peu moins mince. Proserpine est une courtisane italienne qui s'est éprise d'un aristocrate (Sabatino) dont elle attend un amour vrai et total. Déconcerté par ces attentes, Sabatino rentre dans le rang et se dispose à épouser la sœur ( Angiola) de son ami (Renzo) ce qui va rendre Proserpine malade de jalousie. Acoquinée à un bandit (Squarocca), Proserpine déguisée en bohémienne se confrontera à Angiola qu'elle tentera d'effrayer. Au dernier acte, après avoir essayé une dernière fois de faire revenir vers elle Sabatino, Proserpine se suicide non sans avoir tenté, sans succès, de poignarder Angiola (de fait dans la version de la création, elle poignarde Angiola avant d'être tuée par Sabatino).

L'œuvre est musicalement somptueuse mais elle est marquée par deux ambiguïtés particulièrement remarquables :
- d'une part, le personnage de Proserpine est un rôle lourd et exigeant, qui implique un soprano falcon ; c'est en outre un rôle théâtralement complexe qui, s'il s'inscrit dans la lignée des grandes amoureuses sacrifiées, n'a ni la soumission passive d'une Violetta, ni la revendication assumée d'une Carmen ni la folie destructrice d'une Médée. Un rôle à composer entièrement donc.
- d'autre part, la musique est ambivalente : si elle a la somptuosité symphonique du grand Opera à la française, elle fait des clins d'œil appuyés à la déclamation de Gluck et joue avec des leitmotivs qui évoquent Wagner.

Ce sont probablement ces ambiguïtés qui expliquent les difficultés de cette œuvre à passer à la postérité et les échecs des reprises de 1889, 1902 et 1903. Et pourtant, à aucun moment Saint-Saens ne doutera de la valeur de cet ouvrage.

La représentation d'hier lui a donné totalement raison.

À la direction de l'orchestre de la Radio de Munich, Ulf Schirmer se lance avec enthousiasme dans une interprétation d'anthologie et de toute beauté. Les talents de symphoniste de Saint-Saens sont exaltés par sa direction sans que pour autant l'exceptionnelle théâtralité de la partition en pâtisse. Ce travail remarquable atteint son sommet dans l'intermède entre les actes III et IV bien heureusement rétabli dans cette interprétation (alors qu'il appartient à la version originale). Les chœurs de la Radio Flamande sont également excellents de présence musicale et dramatique même si la diction est parfois un peu approximative. Mais ce petit défaut n'est rien au regard de la superbe capacité de rendu d'atmosphères tellement différentes au long de l'œuvre (l'orgie, les nonnes, les pelerins, les gitans....)

Au plan vocal, le plateau offrait une intéressante confrontation : face à de remarquables exemples de chant à la française ( Veronique Gens, Mathias Vidal, Philippe-Nicolas Martin, Andrew Foster Williams et, dans une moindre mesure Jean Teitgen), on trouve des chanteurs davantage marqués par une italianité plus affirmée ( Marie Adeline Henry, Frederic Antoun,, Artavazd Sargsyan et Clémence Tilquin). Cette confrontation, dont je ne sais si elle était délibérée, tourne clairement à l'avantage des premiers.

En Angiola, Marie-Adeline Henry expose une voix claire, peu développée et assez mal projetée dans le bas de la tessiture, et (très voire trop) sonore. Elle gênera à plusieurs reprises ses partenaires en particulier Frédéric Antoun et Veronique Gens. Encore plus gênant, le travail de caractérisation du personnage est inexistant et Angiola ne semble guère animée par d'autre émotion que de balancer une note juste, hésitant entre forte et fortissimo dès que l'on franchit le haut médium.... C'est la seule réserve qu'appelle cette distribution. Le Sabatino de Frédéric Antoun est peut être un peu trop solaire, un peu trop juvénile pour un rôle que je conçois plus adulte, plus cynique. Mais la voix est belle, bien projetée, même si la mélodie lui sied mieux que la déclamation. Clémence Tilquin, dans trois petits rôles, est agréable à entendre mais là aussi, des faiblesses nettes apparaissent dans la déclamation et dans le contrôle du volume sonore dans les ensembles.

En Renzo, le baryton basse Jean Teitgen est remarquable de précision même si son incarnation du personnage est insuffisamment juvénile surtout au regard des conceptions de leurs personnages qu'ont Frédéric Antoun et Marie-Adeline Henry. Andrew Foster Williams incarne un très beau Squarocca, roublard et moqueur à souhait, qui donne un grand relief à la déchéance et aux provocations de Proserpine. Philippe-Nicolas Martin (Ercole) et Mathias Vidal (Orlando) sont des modèles de chant français. Leurs voix très naturelles et masculines sont belles et bien projetées, la diction est impeccable et l'andante "alla siciliana" (le qualificatif est de Saint-Saens) qu'ils se partagent atteint à des sommets de style et de beauté. Sur le reste de son trop modeste rôle, on ne peut en outre passer à côté de l'extraordinaire engagement de Mathias Vidal.

Reste Véronique Gens. Et là, on ne peut qu'évoquer une prestation superlative. Tout est parfait : la complexité du personnage et de ses émotions sont impeccablement gérées, la voix se déploie somptueusement sur cet énorme rôle sans difficulté apparente ni sur des graves étoffés et veloutés, ni sur des aigus de révolte et de blessure. L'art de la déclamation est maîtrisé à la perfection et sa longue silhouette pleine de noblesse sait se plier aux outrances de son personnage.

Le public a ovationné cette belle production. Pour ma part, je me demande encore comment un tel chef d'œuvre, traversé par un tel souffle symphonique et lyrique, a pu sombrer dans l'oubli. Nous attendons désormais avec gourmandise une version mise en scène.







11 octobre 2016 - Proserpine (Camille Saint-Saëns) à l'Opera royal de Versailles
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V
On peut s' interroger effectivement que vous ayez l' opinion contraire à tous vos confrères ayant salués la prestation de Marie-Adeline Henry, notant son incarnation du personnage et louant sa prestation vocale. Par ailleur, elle a une musicalité allemande et non italienne et est souvent appelée pour chanter les tragédies française et allemande.<br /> On peut ne pas aimé, mais toutes vos remarques la concernant sont les opposés des compliments que lui font les autres. Certaiment la cause des commentaires vous trouvant trop sevère à son egard.<br /> Musicalement.
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J
Je ne retire rien à mon appréciation qui ne vaut bien sûr que pour ce soir là.... Quant à ne pas partager l'opinion d'autres auditeurs, elle n'enlève aucune valeur à mon avis... ni au leur. Ce sont nos émotions qui sont en jeu et tout ceci est donc éminemment subjectif.... <br /> Musicalement,
M
tu as certainement entendu un beau moment musical... Pourquoi souhaiter une mise en scène et costumes qui dénaturons a coup sur la musique !!! je dis cela car la mise en scène et les costumes ont cassé le SAMSON et DALILA que j'ai vu la semaine dernière... C'est un opéra que j'aime énormément, que j'ai écouté mille fois ,que je connais par coeur... autant te dire que l'arrivée des mitraillettes sur les Hébreux, ça fait mal !!! j'en reste alors a la dernière fois que je l'ai vu..c'était en mai 85 a Londres avec Domingo!!!! no comment !!!!
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J
Je te raconterai S&D que je vois la semaine prochaine. Ici, l'œuvre ressemble beaucoup plus à un Opera que Samson (qui fait un peu oratorio) et le personnage de Proserpine est tellement complexe et évolutif qu'une (bonne) mise en scène ne pourrait que soutenir l'interprete
B
Très belle chronique Jean-Luc, un compte rendu précis et détaillé, qui donne à la lecture le sentiment d'avoir assisté à la représentation...
Répondre
J
Merci Bruno ! Certains me trouvent excessivement sévère avec Marie-Adeline Henry...

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