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Operaphile

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Comptes rendus de spectacles lyriques... entre autres choses....


24 janvier 2022 – Hamlet (Ambroise Thomas) à l’Opéra-Comique.

Publié par Jean Luc sur 26 Janvier 2022, 19:32pm

Dernière œuvre créée à la salle avant l’ouverture du Palais Garnier, Hamlet a été un opéra incontournable du répertoire français du XIXème siècle ? Joué plus de 300 fois à Paris entre sa création (1868) et 1914, il disparut à peu près totalement de l’affiche à la veille de la Seconde Guerre mondiale.  Le style académique d’Ambroise Thomas, souvent considéré comme un compositeur « officiel » et bourgeois et le mot vachard d’Emmanuel Chabrier[1] (1841-1894) ont certainement contribué à cette éclipse. Pourtant Hamlet est un objet musical intéressant. Le compositeur maitrise très bien l’écriture vocale et l’orchestration mais il est aussi capable d’innovations remarquables. Confier l’écrasant rôle-titre à un baryton en est une. La présence du saxophone et son solo, la partie confiée au trombone, en sont d’autres.

Il est rare qu’une mise en scène serve aussi parfaitement l’œuvre qu’elle présente et soit capable de maintenir une tension dramatique et une émotion de façon aussi réussie que le travail de Cyril Testé. Le parti pris d’appuyer la dimension « sentimentale » voire intime de l’œuvre au travers d’un personnage d’Hamlet désemparé par les jeux de pouvoir auxquels il est confronté, devient au terme de ce travail une absolue évidence. Le recours abondant à la vidéo sert le propos avec mesure et la beauté des images soutient l’émotion du spectateur sans que l’on ait à aucun moment le sentiment d’un usage systématique et à visée purement esthétique ou « moderniste ». La mort d’Ophélie est ainsi d’une rare intensité et le « meurtre de Gonzague » prend un relief saisissant. Les gros plans –parfois sans concession - sur les visages des personnages permettent d’abolir la distance expressive habituelle au théâtre et donnent à voir au spectateur chaque émotion des interprètes. Le gros plan final sur le visage d’un Hamlet acclamé mais perdu est absolument bouleversant.

Evidemment, la réussite de cette mise en scène tient à un plateau exceptionnel, vocalement et théâtralement, très homogène et totalement convaincu par les intentions de mise en scène.

Stéphane Degout incarne un Hamlet complexe et tourmenté, servi par des capacités vocales rares qui lui permettent tout à la fois des éclats de colère, des imprécations, de la violence ou du chagrin murmuré. Son Hamlet, jeune et perdu au milieu des jeux de pouvoir et de cour, introverti et tout de violence contenue, est fascinant. La voix est généreuse, le style et la diction sont exemplaires et l’implication théâtrale dans ce rôle écrasant est remarquable.

Sabine Devieilhe est tout aussi remarquable en Ophélie, à laquelle elle apporte la jeunesse de son timbre aérien et l’homogénéité de sa voix. Très convaincante par son jeu de scène, elle assume toutes les difficultés techniques du rôle avec bonheur tout en pliant les exigences de virtuosité aux besoins d’une incarnation de désespoir et de souffrance intérieure.

Laurent Alvaro est un Claudius d’une méchanceté saisissante. L’élégance de son chant est adaptée à son rôle royal et renforce encore l’effet de méchanceté. La voix est sonore, la technique à toute épreuve et le style, un rien suranné, sied parfaitement à la musique de Thomas. A ses côtés la Gertrude de Géraldine Chauvet, appelée en remplacement de Lucile Richardot, est également une méchante parfaitement réussie, même si la diction est moins claire que celle des autres interprètes. Son timbre chaud, ample et sa voix très homogène lui permettent des nuances délicates dans un rôle techniquement difficile au service d’un personnage complexe.

Pierre Derhet est un Laërte convaincant, au timbre chaud et rond. Il parvient à donner de l’épaisseur à un personnage qui n’est pas spécialement soigné par le livret. Le phrasé et la diction sont parfaits. Jérôme Varnier est un spectre à l’humanité palpable, déclamant avec efficacité d’une voix profonde. Enfin, Yu Shao (Marcellus et second fossoyeur), Geoffroy Buffière (Horatio et premier fossoyeur) et Nicolas Legoux (Polonius) complètent efficacement cette distribution remarquable. Le chœur Les Éléments est très sollicité par la partition et la mise en scène : il s’en tire avec panache et conviction.

Enfin, autre acteur essentiel de cette belle réussite, Louis Langrée conduit l’Orchestre des Champs-Elysées avec une conviction affirmée et quasi militante. La direction est énergique et dissèque la partition dont les inspirations et les dimensions spectaculaires sont soulignées. On lui pardonnera bien volontiers d’avoir coupé le ballet, tant sa lecture est efficace et convaincante.

C’est une ovation qui a salué l’ensemble des artistes, à la mesure de l’émotion rare qu’ils ont su partager.

Crédits photographiques : © Vincent Pontet

 

Programme et distribution :

Ambroise THOMAS (1811-1896)

HAMLET

Opéra en cinq actes

Livret en français de Michel Carré et Jules Barbier d’après la tragédie de Shakespeare

Créé à Paris (Opéra – salle Le Peletier) le 9 mars 1868

 

Hamlet : Stéphane Degout

Ophélie : Sabine Devieilhe

Claudius : Laurent Alvaro

Gertrude : Géraldine Chauvet

Laërte : Pierre Derhet

Le Spectre : Jérôme Varnier

Marcellus / second fossoyeur : Yu Shao

Horatio / premier fossoyeur : Geoffroy Buffière

Polonius : Nicolas Legoux

 

Mise en scène : Cyril Teste

Scénographie : Ramy Fischler

Costumes : Isabelle Deffin

Lumières : Julien Boizard

Dramaturgie : Leila Adham

Conception vidéo : Mehdi Toutain-Lopez et Nicolas Doremus

Cadreur – opérateur : Paul Poncet

Collaborateur artistique : Julien Masmondet

Cheffe de chant : Marine Thoreau La Salle

 

Chœur Les éléments

Chef de chœur : Joël Suhubiette

Orchestre des Champs-Élysées

 

Direction musicale : Louis Langrée

 

[1]  « Il y a de la bonne musique, et puis il y en a de la mauvaise, et puis il y a celle d’Ambroise Thomas. »

24 janvier 2022 – Hamlet (Ambroise Thomas) à l’Opéra-Comique.24 janvier 2022 – Hamlet (Ambroise Thomas) à l’Opéra-Comique.
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S
J'ai de la chance! J'ai regardé et écouté Ophélie : Sabine Devieilhe, sur le site de l'Opéra comique! Et sa voix sert pleinement le jeu dramatique de sa mort à venir. Chaque mot donne l'intensité de la douleur et du sentiment d'Ophélie et nous entraine dans l'Imaginaire de " Ophélie", raisonné et fou d'amour à la fois. C'est cela la Folie!<br /> Je ne suis pas certaine que tant de vidéos (pour Hamlet) servent vraiment la pièce; je dirai même que Ambroise Thomas se suffit à lui-même, tant son travail de partition est parfait, à la fois texte et musique liés pour transcender l'âme humaine.<br /> Merci pour votre critique encore une fois!<br /> Françoise Sérandour<br /> Ecrivaine-auteure
Répondre
J
Le recours à la vidéo est plutôt mieux maîtrisé et moins envahissant que dans d autres productions. Surtout, il sert parfaitement le propos et les intentions de mise en scène. Les gros plans sont une espèce de intrusion dans la dimension intime du drame qui soutient admirablement la musique decThomas. Tout ceci n est bien entendu que mon opinion, forcément subjective…. Amitiés<br /> JLuc

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