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Operaphile

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Comptes rendus de spectacles lyriques... entre autres choses....


27 mars 2023 – MEDEE (Charpentier) au Théâtre des Champs Elysées.

Publié par Jean Luc sur 30 Mars 2023, 14:26pm

Catégories : #Opera baroque version concert, #Opera version concert

Créé devant Louis XIV dont le Prologue fait l’éloge et qui se montra, nous dit-on, satisfait, Médée ne connut pas le succès et les représentations s’interrompirent après la 10ème, victime de la cabale montée par les lullistes qui reprochaient à cette musique trop « d’italianité ». Un long oubli attendait ainsi cette œuvre, unique opéra de Charpentier, jusqu’en 1976 et, à la scène, 1984 (Lyon), date à partir de laquelle les reprises se multiplient. A partir des années 2000, Médée est régulièrement montée. Après 330 ans d’absence, elle figure au programme de l’Opéra de Paris pour la prochaine saison.

L’histoire de cette femme trahie et abandonnée, magicienne, meurtrière et infanticide est particulièrement sombre et effroyable. La focalisation de l’œuvre sur ce personnage est très originale pour l’époque, comme l’est l’implacable progression dramatique du livret.

Dans la mythologie grecque, l’histoire de Médée est une histoire d’errance à travers la Grèce, enchaînant complots, fuites et meurtres. Après que Médée ait aidée Jason à s’emparer de la Toison d’Or, ils arrivent à Corinthe où le roi Créon, sans héritier, verrait bien Jason épouser sa fille Créuse pour assurer sa dynastie. La vengeance de Médée, abandonnée, est terrible : elle offre à Créuse une tunique ensorcelée qui s’enflamme sur la jeune mariée et la tue, ainsi que son père. Médée incendie et détruit Corinthe et assassine les deux fils qu’elle a eus de Jason. C’est cet épisode de la légende que traite l’opéra de Charpentier.

Dans cette version de concert, le propos d’Hervé Niquet est de restituer le plus possible les conditions dans lesquelles l’œuvre fut créée en 1693 : la disposition de l’orchestre est ainsi inhabituelle : les cordes sont en fond de plateau, devant les chœurs, étagées, les bois (hautbois et bassons) sont disposés à la gauche du chef tandis qu’un continuo particulièrement important se déploie devant lui et sur sa droite.  Cette détermination historique et musicologique présente l’intérêt de faire sonner différemment cette œuvre de ce qu’il nous est habituellement donné à entendre dans le baroque français.

Je dois à la vérité de dire que je me suis fort ennuyé pendant une grosse moitié de la première partie. En fait, jusqu’à la confrontation de Médée et de Créon, au tout début du II. La restitution du Prologue par exemple mérite vraiment d’être questionnée tant cet hommage courtisan frise le ridicule, et, complètement étranger à l’intrigue, nuit au déroulement dramatique de l’opéra. Toutefois, dès le début, et malgré cet ennui, la beauté du chœur « à la française » est intense et on apprécie les interventions de Véronique Gens et de Cyrille Dubois.

A partir du II, le drame se noue et l’action se resserre peu à peu sur Médée et sa vengeance folle et meurtrière. Véronique Gens est simplement – mais on s’y attendait – sublime. La diction est parfaite, chaque mot est porteur de sens, chaque intonation est calculée. Son interprétation de « l’air « Quel prix de mon amour ! » au III est à tirer des larmes et tout son acte V est une totale réussite, qui nous laisse frémissants d’horreur.

Face à elle, le Jason cynique et un tantinet veule de Cyrille Dubois appelle tout autant d’éloges. D’une musicalité sans faille, d’un français irréprochable, il est parfaitement adapté à ce style du baroque français qu’il porte avec panache et émotion, et une technique souvent surprenante qui annonce l’ornementation du baroque plus tardif .

J’ai été moins convaincu par la Créuse de Judith van Wanroij, un peu trop en retrait face aux deux précédents et dont, surtout, la diction est souvent plus qu’approximative. Dommage parce que le timbre est beau. Thomas Dollié assume son Créon avec beaucoup d’autorité : certes certains graves semblent le mettre un peu à la peine mais pour le reste tout y est, le style, la diction, les couleurs. Une très belle prestation.

Oronte est interprété par David Witczak qui est en difficulté au début de l’œuvre avec une projection un peu incertaine et un medium qui sonne étrangement mais qui surmontera vite ces difficultés et nous offrira une superbe scène de duo avec Véronique Gens.

Tous les autres personnages tiennent leur rôle avec conviction et un style irréprochable avec, pour ma part, une mention particulière pour l’Amour de Hélène Carpentier, les interventions de Fabien Hyon et celles de David Tricou dont le timbre est particulièrement intéressant avec des aigus d’un grand naturel.

Le chœur du Concert Spirituel est un personnage à part entière. Il sonne superbement quelle que soit la partie et sait colorer chacune de ses interventions : guerrières, solennelles, infernales…

Le travail d’Hervé Niquet à la tête du Concert Spirituel est superbe, sous les petites réserves du début de cette chronique : la musique est passionnante dès qu’on arrive au II et la progression dramatique est remarquable.  Les différents pupitres sont tous mis en valeur, les bois magnifiques et les équilibres, notamment pour les voix, sont parfaitement assurés.

Après 3h20 de musique, le public du TCE a manifesté beaucoup d’enthousiasme pour cette reprise historique.  

 

Programme et distribution :

Marc-Antoine CHARPENTIER (1643-1704)

MEDEE

Tragédie lyrique en cinq actes avec prologue

Livret en français de Thomas Corneille

Créé à Paris, Académie royale  de musique, le 4 décembre 1693.

 

Médée : Véronique Gens

Jason : Cyrille Dubois

Créuse : Judith van Wanroij

Créon : Thomas Dolié

Oronte : David Witczak

La Victoire / Nérine / l’Amour : Hélène Carpentier

Le Chef du peuple / Un habitant / Un Argien / La Vengeance : Adrien Fournaison

Bellone : Floriane Hasler

Un berger / Le premier Corinthien / Un Argien / Le troisième captif / Un démon / Le troisième fantôme : David Tricou

Un berger / Arcas / Le deuxième Corinthien / La Jalousie : Fabien Hyon

Une Italienne / Cléone / 1re bergère / 1re captive / 1er fantôme : Jehanne Amzal

La Gloire / 2e bergère / 2e captive / 2e fantôme : Marine Lafdal-Franc

 

Orchestre et chœur Le Concert Spirituel

Direction musicale : Hervé Niquet

 

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