Inspiré d’un épisode de La Jérusalem délivrée du Tasse, Rinaldo conte l’affrontement d’un couple héroïque (Renaud et Godefroy de Bouillon) et d’un couple maléfique (Armide et Argante), affrontement dont la belle Almirena est l’enjeu symbolique. C’est le premier opéra de Haendel créé à Londres, alors que le compositeur a tout juste 26 ans. L’objectif était d’en mettre plein les yeux aux Londoniens à grand renfort d’effets de mise en scène (tempêtes, monstres, vrais oiseaux peuplant le jardin d'Armide qui faisait son entrée sur un char tiré par des dragons…) et d’une composition musicale mêlant magie, sérieux, comiques de situation et héroïsme. La distribution de la création aligne les plus grands chanteurs de l’époque (dont le castrat Nicolini en Rinaldo). Tout est fait pour assurer le spectacle et, au-delà de mise en scène aux nombreux effets et « à machines », la partition enchaîne des morceaux qui, quoique repris de nombreuses œuvres antérieures, sont d’une grande qualité et d’une exigence prodigieuse pour les chanteurs, notamment pour l’interprète de Rinaldo. Le succès considérable remporté par la création assura la domination de l’opera seria italien sur la scène londonienne pour de nombreuses années. Rinaldo sera repris constamment pendant deux décennies et jusqu’à une refonte plus profonde en 1731, générant de nombreuses versions différentes, visant - c’était l’usage - à adapter l’ouvrage aux capacités et aux exigences des chanteurs disponibles.
Je reste persuadé que cet opéra est assez peu adapté à la version de concert et appelle une mise en scène un peu échevelée qui en souligne la musique frénétique évoquant guerre, tempêtes, magie, Orient et maléfices. J’espère donc que le Théâtre des Champs Elysées aura l’excellente idée de reprendre cette magnifique distribution dans une version scénique.
A la tête des Accents, Thibault Noally parvient à nous transporter dans cet univers de sentiments contrariés, de magie et de guerre même si le début du Ier acte m’a paru un peu lourd, un peu emprunté, un peu trop appliqué. Probablement un défaut de première, qui sera vraisemblablement corrigé par les deux autres représentations prévues en Espagne. Les Accents font preuve d’enthousiasme et délivrent de très belles sonorités. Le continuo est de toute beauté, les trompettes sont superbes et les interventions du basson et du clavecin sont remarquables.
Pour sa prise de rôle, Carlo Vistoli est absolument convaincant en Rinaldo, rôle dont il domine toutes les difficultés. Le timbre est toujours aussi clair, homogène et dépourvu de cette affectation qu’on trouve chez certains de ses collègues, ce qui lui permet de déployer les accents virils de ce héros de légende. Il affronte sa redoutable partie d'une voix véloce et s’appuie sur une technique parfaitement maitrisée et une virtuosité renversante. L’interprétation est très savante, avec des ornementations parfaitement étudiées, adaptées, souvent stupéfiantes sans ostentation ni cabotinage et au contraire même avec une grande humilité. Les récitatifs sont ciselés avec précision. Il est renversant dans « Venti, turbini,prestate » et « « Or la tromba » et il est parfait d’émotion dans un « Cara sposa » à tirer des larmes. Très justement ovationné par une salle comble en fin de spectacle, Carlo Vistoli, dont la voix et les prestations progressent à chaque fois que j’ai le bonheur de l’entendre, est indéniablement le meilleur contreténor du moment et probablement aujourd’hui le meilleur interprète possible de ce rôle redoutable de Rinaldo.
Chiara Skerath est également excellente en Almirena, rôle auquel son timbre rond et chaleureux donne toute son épaisseur. Le chant est nuancé avec subtilité et elle sait varier les couleurs pour passer de l’extase amoureuse au lamento désespéré en passant par l’émerveillement naïf. Le style d’une grande élégance lui permet un « Lascia ch’io pianga » très émouvant, de la meilleure facture qui soit. Même en version de concert, les aptitudes d’actrice sont manifestes, formant un couple idéal, tant au plan musical qu’au plan visuel, avec le Rinaldo de Carlo Vistoli.
A la différence du public, j’ai été moins convaincu par l’Armida d’Emőke Baráth. En dépit de qualités techniques remarquables, d’un style baroque irréprochable, d’un timbre au charme évident et malgré une grande implication elle ne dispose pas du registre de soprano dramatique qui, de mon point de vue du moins, doit caractériser la magicienne qui doit explorer des zones particulièrement sombres et violentes à plusieurs reprises et notamment dans le redoutable « Furie terribili ».
L’Argante de Victor Sicard est convaincant dans son rôle de comparse maléfique d’Armide. La voix est très stable et le timbre de baryton se plie facilement aux intentions du chanteur. L’engagement est total et il traverse avec succès les difficultés du rôle, particulièrement au I dans un spectaculaire « Sibilar gli angui d'aletto ».
Lucile Richardot interprétait un Goffredo sonore et tout en puissance, comme il sied à Godefroy de Bouillon, mais parfois un peu au détriment des nuances. La voix est belle, riche, particulièrement corsée dans un très beau medium et sait déployer une grande variété de couleurs, qualités qui apparaissent très clairement dans un beau "Mio cor che mi sai dir".
Anthea Pichanick réussit un Eustazio de haute volée. Elle a un timbre particulièrement rond et enveloppant de contralto dont elle joue à merveille dans un rôle qui réussit à capter l’attention de la salle alors que, on le sait, il sera supprimé par Haendel dans des versions ultérieures, probablement en raison de sa faiblesse dramatique.
Le public s’est montré très enthousiaste à l’issue de cette représentation qui était effectivement de très haut niveau, applaudissant longuement des chanteurs qui se sont montrés particulièrement complices lors de la représentation.
Selon le programme de salle, France Musique diffusera cette soirée le samedi 24 février à 20h. A ne pas manquer pour les amoureux de Haendel.
Crédits photographiques : © Jean-Yves Grandin – Raphael Federici
Programme et distribution :
Georg Friederich HAENDEL (1685-1759)
RINALDO HWV 7b (1713)
Opéra seria en trois actes
Livret de Aaron Hill d’après La Jérusalem délivrée, traduit en italien par Giacomo Rossi
Créé à Londres, au Queen’s Theater, le 24 février 1711
Rinaldo : Carlo Vistoli
Armida : Emőke Baráth
Almirena : Chiara Skerath
Goffredo : Lucile Richardot
Eustazio : Anthea Pichanick
Argante : Victor Sicard
Les Accents
Direction musicale et violon : Thibault Noally