Dès le début du concert, Théotime Langlois de Swarte explique que le programme est conçu comme une évocation de la vie d’Antonio Vivaldi. C’est à travers ce prisme que doivent se comprendre la présence au programme de pièces dont Vivaldi n’est pas l’auteur, comme par exemple l’aria de Legrenzi qui ouvre la soirée. Le père de Vivaldi jouait dans l’orchestre de Legrenzi et on se plait à imaginer un Vivaldi enfant écoutant cette musique, à laquelle le clavecin de Justin Taylor apporte une profondeur et une fluidité, comme quelque chose de liquide, qui emplissent d’émotion la salle toute entière.
Le programme est construit de manière savante et pertinente et c’est avec beaucoup d’humilité et souvent d’humour que Théotime Langlois de Swarte, parfois relayé par Justin Taylor, apporte, ici et là, quelques éclairages sur les choix qui ont présidé aux choix de ce programme et parle de l’intérêt des découvertes régulières que l’on fait sur les œuvres baroques, qui permettent de jouer des inédits et de renouveler les interprétations.
Le Consort, Théotime Langlois de Swarte et Justin Taylor n’appellent que des éloges. Rarement un concert a été aussi équilibré dans l’émotion qu’il procure, y compris sur des œuvres plus que connues. Le violon de Théotime Langlois de Swarte est un plaisir sans cesse renouvelé à lui seul : les attaques sont d’une précision foudroyante, les nuances semblent pouvoir être infinies, les couleurs paraissent pouvoir se parer de toute la palette des peintres baroques. L’andante du concerto RV 768 récemment redécouvert en est un exemple tant les piani-pianissimi sont émouvants et les nuances extrêmement riches. De même cette Ciaconna inachevée (et donc recomposée) donne des moments sublimes au violon de Théotime Langlois de Swarte, sur une basse obstinée superbe. Ma seule réserve tiendra au choix d’interprétation du concerto L’Eté qui alterne des tempi très ralentis avec des accélérations incroyablement fougueuses, créant ainsi un décalage qui exacerbent trop les contrastes à mon goût.
Le Consort suit son chef avec une attention de chaque instant, un enthousiasme évident et un travail collectif impeccable. Le continuo est luxueux et vibrant, palpitant. Les nuances sont particulièrement belles, par exemple dans la Sinfonia RV 168, et l’interprétation frémissante de bout en bout du concerto pour violon en ré mineur est bouleversante. La Follia de ce concert restera une des très belles interprétations qu’il m’ait été donné d’entendre de ce thème.
Même si son instrument est ce soir plus intégré au continuo que mis en avant, à l’exception de quelques pièces dont la superbe aria d’ouverture du concert, Justin Taylor a le don, le talent de rendre émouvant un instrument dont ce n’est généralement pas la qualité première. Ses interventions sont toutes profondément touchantes.
Adèle Charvet qui illustrait par sa participation la contribution essentielle de Vivaldi à l’opéra a été également particulièrement remarquable. On avait déjà apprécié son timbre chaud, mordoré et d’évidentes qualités techniques de très haut niveau et elle a confirmé avec une incroyable aisance qu’elle est une des meilleurs mezzos de sa génération. Après un « Siam navi all’onde algenti » virtuose et mené à un train d’enfer, orné avec goût et audace (et que dire de la superbe attaque ppp du da capo par l’orchestre), le « Sovvente il sole » superbement accompagné au violon par Théotime Langlois de Swarte est un autre exemple de ce talent. On retrouve dans le « Gelido in ogni vena » un accompagnement somptueux par Le Consort et Adèle Charvet semble vouloir se livrer à une véritable leçon de chant baroque enchainant les trilles dans une interprétation très incarnée. Et très vite après, laissant à peine le public l’applaudir, elle enchaîne sur un « Alma oppressa » tout aussi impeccable : la voix est véloce sur un tempo très rapide, les vocalises sont parfaitement articulées, la longueur de souffle semble gigantesque et la voix s’allège par instant dans l’aigu pour ensuite s’amplifier dans le bas medium presque jusqu’à se détimbrer dans un canto di sbalzo d’anthologie, qui sera encore plus audacieux, déchaîné même, dans le bis qu’elle en donnera. En bis aussi, un clin d’œil à l’autre grand maitre du baroque, Haendel, avec un « Lascia ch’io pianga » tout sur le souffle, très doux et intériorisé qui semble par moment presque chuchoté.
Le public a semblé enchanté par cette soirée qui a réellement fait honneur au talent et à l’inventivité de Vivaldi.
Programme et distribution :
VIVALDI LE MAGNIFIQUE
Adèle Charvet, mezzo-soprano
Théotime Langlois de Swarte, violon
Justin Taylor, clavecin
Le Consort
Giovanni Legrenzi (1626-1690)
Aria (instrumental) extrait de La Divisione del Mondo
Antonio Vivaldi (1678-1741)
Sinfonia RV 168
Concerto pour violon en ré mineur RV 813
Michelangelo Gasparini (1670-1732)
Rodomonto sdegnato « Il mio crudele amor »
Antonio Vivaldi
L’Olimpiade : « Siam navi all’onde algenti »
Concerto RV 768 - Andante
Concerto RV 356
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Andante BWV 974 d’après Alessandro Marcello
Antonio Vivaldi
Follia
Entracte
Antonio Vivaldi
Andromede Liberata : « Sovvente il sole »
Ciaconna RV 370
L’estate RV 315
Farnace : "Gelido in ogni vena"
La Fida Ninfa : « Alma oppressa »
BIS :
Rinaldo : « Lascia ch'io pianga » Georg Friedrich Haendel (1685-1759)
Une transposition d’un concerto de Scarlatti
Reprise du da capo de « Alma oppressa »
Ensemble Le Consort
Violons : Théotime Langlois de Swarte, Sophie de Bardonnèche, Christophe Robert, Magdalena Sypniewsky, Roxana Rastegar, Augusta Mc Kay Lodge
Alto : Géraldine Roux
Violoncelles : Hanna Sazenstein, Arthur Cambreling
Contrebasse : Hugo Abraham
Clavecin : Justin Taylor
Direction musicale : Théotime Langlois de Swarte