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Operaphile

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Comptes rendus de spectacles lyriques... entre autres choses....


29 janvier 2024 – Concert 3 contre ténors à l’Opéra royal de Versailles

Publié par Jean Luc sur 31 Janvier 2024, 15:03pm

Catégories : #Chouchous, #Concert contre tenor, #Récital contre tenor, #concert baroque

Sous-titré « concours de virtuosité des castrats », ce concert cède à la mode désormais très établie à Versailles de mettre en concurrence des contre-ténors pour tenter de faire revivre au public contemporain les rivalités pyrotechniques des castrats de l’âge d’or du baroque.

Ce soir, ce sont Bruno de Sá, Théo Imart et Nicolò Balducci qui se pliaient à l’exercice, accompagnés par l’Orchestre de l’Opéra royal dirigé par Stefan Plewniak.

Après une ouverture de Orlando furioso un peu terne et un peu « plan-plan », l’orchestre, galvanisé probablement par l’enthousiasme des trois chanteurs sera meilleur, plus vif, plus précis, moins sec. Stefan Plewniak se montre très attentif à ses trois interprètes et les accompagne réellement.

Le premier à entrer en scène sera Bruno de Sá, trop maquillé et à la tenue un peu décalée pour le lieu. Ce qui est frappant avec ce sopraniste, c’est la beauté du timbre, la vélocité du chant, l’agilité des vocalises, la qualité de l’aigu et du suraigu, la capacité à nuancer le registre le plus haut et d’y diffuser des pianissimi aériens. Mais l’ornementation reste assez pauvre hors des effets sidérants dans le registre aigu et, peut être plus inquiétant, la puissance sonore semble plus faible, surtout comparée à ses deux comparses, et le medium perd facilement ses couleurs. Le « Siam navi all’onde » de l’Olimpiade met tout cela en évidence, ainsi d’ailleurs qu’un très beau grave. Les limites qu’on vient d’évoquer le mettront en recul dans les ensembles, surtout face à Nicolò Balducci : ce sera le cas pour le duo de Marc Antoine et Cléopâtre de Hasse ou, avec Theo Imart pour celui de Aminta e Felide (Per abbater il rigore d’un crudel) malgré son exécution brillante et irréprochable du récitatif qui précède le duo (Arresta, arresta il passo). C’est dans le « Parto ti lascio, o cara » du Germanico in Germania de Porpora que Bruno de Sá donnera sa meilleure prestation ce soir : l’écriture lui va à merveille, faisant chatoyer l’incroyable beauté du timbre dans l’aigu, et mettant en évidence une longueur de souffle autorisant beaucoup d’audaces. La technique est souveraine et l’interprétation extrêmement belle ; et pourtant, je peine à y trouver de l’émotion.

Le deuxième à faire son entrée c’est Théo Imart, dans un total (et volontaire ?) contraste de tenue (smoking noir, chemise blanche et nœud papillon noir, coupe de cheveu de gendre idéal) et d’attitude. Dans le « Gelido in ogni vena » du Farnace, la voix est sonore, d’une belle homogénéité sur l’ensemble du registre avec un medium très beau et très assuré et un aigu puissant et précis. Pas d’esbroufe dans des vocalises menées avec beaucoup de sûreté, les ornements sont présents et nombreux, un peu sages peut être. La diction est impeccable et l’interprétation est particulièrement expressive et émouvante ; je me souviendrai longtemps de ces « terror » totalement intériorisés. En deuxième partie, il s’attaque au « Fra le procelle » de Tito Manlio, aria de bravura s’il en est, dont il se tire avec panache.  Le chant est engagé, très virtuose, le timbre clair, les attaques nettes et courageuses et si on oublie très volontiers les toutes premières vocalises un peu laborieuses et savonnées (d’ailleurs aussi dans le da capo) tant le reste de l’aria est exécuté avec virtuosité et précision.

Nicolò Balducci est à l’évidence de plus en plus à l’aise sur scène. Pupitre éliminé pour pouvoir bouger sur toute la scène, tenue faisant la synthèse de ces deux comparses (un costume noir au revers constellé de brillants), jouant avec le public avec des mimiques parfaitement étudiées. Son « Agitata da due venti » de Griselda qui clôt la première partie du concert après son duo avec de Sa, est une véritable démonstration de ses énormes capacités. Il semble pousser l’orchestre et Plewniak a toujours plus de rapidité. Les vocalises sont une leçon du genre tant leur exécution est parfaite, la voix est totalement homogène et le timbre, souple, est superbe avec un soin particulier apporté au bas medium qui est vraiment très beau. Les ornements sont très étudiés, audacieux et impeccables dans leur exécution, comme les nuances que l’excellent musicien qu’il est déploie avec bonheur. En deuxième partie du concert, il interprète, issu d’Ariodante, le célèbre « Scherza infida », dans lequel il est bouleversant. Techniquement, c’est irréprochable : le chant est tout en nuances, le legato d’une grande beauté, des mesa di voce et des piani renversants. L’ornementation est soignée, délicate, entièrement au service de l’interprétation et de la musique. Du très grand art !

Le concert se conclut par une interprétation à trois voix du pasticcio « Mi scaccia crudele » du Siface de Giuseppe Sellito. La complicité et le plaisir des trois chanteurs y est évidente et on retrouve le petit décalage de puissance au détriment de Bruno de Sa et, à son actif, ses aigus brillantissimes et percutants.

Trois bis pour remercier l’enthousiasme du public : le somptueux « Pur ti miro, Pur ti godo » de Monteverdi accompagné du seul continuo qui a fait ce soir une prestation tout à fait remarquable tout au long du concert, le « Son qual nave ch’agitata » de Broschi, clin d’œil pyrotechnique dans lequel les trois artistes se déchainent pour le plus grand plaisir du public et, beaucoup plus sage, le Rondeau des Sauvages des Indes Galantes.

Une très belle soirée au total, même si je ne suis pas totalement conquis par ce type d’exercice. Mais s’il faut aller au bout de cette logique de rivalité affichée (parce que les trois contre ténors ont l’air plus complices que rivaux), c’est pour moi très clairement Nicolò Balducci qui l’emporte haut la main, suivi par le prometteur Théo Imart.

 

Programme et distribution :

Les Trois Contre-Ténors ou le concours de virtuosité des castrats

Bruno de Sá Sopraniste
Théo Imart Contre-ténor
Nicolò Balducci Contre-ténor

Antonio Vivaldi (1678-1741)
Orlando furioso : ouverture
L’Olimpiade : acte II, scène 5 « Siam navi all’onde » (Aminta)
Farnace : acte II, scène 6 "Gelido in ogni vena" (Farnace)

Johann Adolf Hasse (1699-1783)
Marc' Antonio e Cleopatra : deuxième entrée, duo final « Bella etade avventurosa » (Marc’Antonio, Cleopatra)

Antonio Vivaldi 
Griselda : acte II, scène 2 « Agitata da due venti» (Costanza)

Entracte

Georg Friedrich Haendel (1685-1759)
Aminta e Filide : récitatif « Arresta, arresta il passo » (Aminta)
Aminta e Filide : duo « Per abbater il rigore d’un crudel » (Aminta, Fillide)
Ariodante : acte II, scène 3 « Scherza infida » (Ariodante)

Antonio Vivaldi
Tito manlio : acte II, scène 18 « Frà le procelle » (Lucio)

Nicola Porpora (1686-1768)
Germanico in Germania : acte II, n°40 « Parto ti lascio, o cara » (Arminio)

Giuseppe Sellitto (1700-1777)
Siface : pasticcio « Mi scaccia crudele » (Viriate, Siface, Ismene)

BIS :

Claudio Monteverdi (1567-1643)

Le Couronnement de Poppée : acte III, scène 8 « Pur ti miro, Pur ti godo »

Riccardo Broschi (1698-1756)

Artaserse : acte III, scène 1 « Son qual nave ch’agitata »

Jean-Philippe Rameau ( 1683-1764)

Les Indes Galantes : Les Sauvages, Rondeau : « Forêts paisibles »

 

Orchestre de l’Opéra Royal

Direction musicale : Stefan Plewniak

 

29 janvier 2024 – Concert 3 contre ténors à l’Opéra royal de Versailles
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