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Operaphile

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Comptes rendus de spectacles lyriques... entre autres choses....


26 octobre 2023 – Don Giovanni (Mozart) à l’Opéra national de Paris (Bastille)

Publié par Jean Luc sur 29 Septembre 2023, 13:04pm

Catégories : #Opera mis en scene

Disons-le d’emblée le point faible de cette production est la mise en scène de Claus Guth qui, conformément à sa triste habitude, construit sa vision autour d’une ou deux idées à partir desquelles il tord l’œuvre dans des limites qui confinent parfois à l’insupportable. Cette « vieille » production (Salzbourg 2008) repose sur deux idées : situer l’action dans une sinistre sapinière (bonjour Séville) et faire de Don Giovanni un agonisant, mortellement blessé au ventre d’un coup de pistolet par le Commandeur lors du duel initial. A partir de là, les violations du livret, du texte voire du simple bon sens sont légion : Donna Anna n’est pas violée mais s’offre langoureusement, elle partira se suicider (après s’être déshabillée sur scène, on se demande bien pourquoi) en partant côté jardin, suivie par un Ottavio qui sortira de scène … côté cour…. Les masques ne sont pas masqués mais Don Giovanni ne les reconnait pas. Une voiture tombe en panne dans la forêt puis repart, mystérieusement réparée. Agonisant, Don Giovanni réussit quand même  à rosser le jeune et fort Masetto et à s’enjouer pour une fête paysanne… J’arrête là, tant ce travail est plus qu’agaçant, irrespectueux du public, et vient légitimer toutes les critiques, souvent très exagérées, qu’on peut faire au Regietheater… apportant de l’eau au moulin de la part la plus conservatrice du public ….

 

Mozart a écrit un dramma giocoso, transformé ce soir en sinistre drame par la mise en scène. C’est d’autant plus dommage que, avec plus de subtilité, l’idée de faire le pont entre le classicisme et le romantisme naissant qui est certainement une caractéristique de cet opéra de Mozart, eût pu être intéressante…. Plus rien de joyeux donc, Leporello devient un comparse drogué, inspirant plus de pitié que d’amusement,  la satyre des rapports sociaux maitre-valet, la critique des droits féodaux (le droit de cuissage exercé sur Zerlina) ou celle des rapports femmes-hommes tout ceci disparait dans une lecture univoque et obsessionnelle…. De ce naufrage ne survit que la scène finale dans laquelle l’obstination à jouir de Don Giovanni, son refus de se repentir ou de céder à la « normalité » sociale prennent une dimension très forte et touchante. On saluera aussi, et malgré tout, une direction d’acteurs particulièrement soignée même si la mise en scène isole tous les personnages, enfermés dans une solitude écrasante.

Heureusement, la distribution de cette représentation est globalement excellente et réunit sur le plateau d’excellents chanteurs.

Peter Mattei domine toute la production tant sa maitrise du rôle, acquise par l’expérience, est immense. Il réussit à nous faire oublier les incohérences de la mise en scène notamment avec une sérénade d’anthologie au legato impeccable et un air du champagne d’une tonicité insolente. Je l’ai dit plus haut, il atteint des sommets d’émotion et d’expressivité dans la scène finale et dans son refus du repentir mais, d’une façon générale, son sens des nuances, la précision du chant et la rondeur du timbre sont un bonheur de chaque instant tout au long de la représentation.

Alex Esposito, en Leporello valet comparse, lui donne la réplique sans faiblir. Très investi physiquement dans l’incarnation de son personnage, il délivre une très belle interprétation, avec de beaux moyens sur toute l’étendue de sa tessiture, un style irréprochable et une superbe ligne de chant. Le timbre est chaud et modulé avec aisance aux intentions du chanteur.

La Donna Anna de Adela Zaharia a indubitablement tous les moyens vocaux du rôle (même si le medium est parfois un peu terne et mal articulé) mais l’interprétation est parfois un peu rigide et manque de coloration assez souvent. Il n’en demeure pas moins que « Or sai chi l’onore » et  « Non mi dir » sont de très belle facture.

Ben Bliss est un Don Ottavio bien chantant, timbre clair et élégant. Dotée d’une très belle longueur de souffle, il m’a néanmoins semblé un peu démuni du charme poétique qui doit marquer le ténor mozartien mais il est vrai que je n’ai pas beaucoup de goût pour ce rôle de Don Ottavio…

John Relyea est irréprochable en Commandeur : voix profonde et sombre, il a toute la solennité et la puissance requises.

J’ai particulièrement apprécié la Donna Elvira de Gaelle Arquez, pourtant annoncée souffrante. Son interprétation du personnage met en avant une humanité omniprésente, un désarroi patent et une naïveté confondante et nous dispense des habituels éclats hystériques. Certes l’aigu était un peu dur et le vibrato un peu serré dans le haut du registre (effets de la maladie annoncée probablement) mais son « Mi tradí » était une vraie leçon de chant délivrée avec une classe imperturbable.

Ying Fang est plus discutable en Zerline : certes la mise en scène n’aide pas mais on cherche en vain, derrière cette jolie voix, la Zerlina provocante, délurée, calculatrice, ambitieuse et intéressée que Mozart a composée.

Guilhem Worms est un très beau Masetto au timbre jeune et sonore, très convaincant dans son rôle d’amoureux benêt et velléitaire dans sa colère contre le maître.

La direction d’Antonello Malacorda est honorable mais tellement asservie à la mise en scène qu’elle sonne sans relief particulier et sans nous apporter l’émotion qu’on attend habituellement de cette œuvre majeure. Enfin, le sextuor final est supprimé dans cette série de représentation, comme ce fut le cas semble-il lors des représentations à Vienne en 1788.

Crédits photographique : © Bernd Uhlig /OnP

 

Programme et distribution :

 Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)

DON GIOVANNI

Dramma giocoso en deux actes

 

Livret en italien  de Lorenzo da Ponte

Créé à Prague, Théâtre National, le 29 octobre 1787

 

Don Giovanni : Peter Mattei

Il Commendatore : John Relyea

Donna Anna : Adela Zaharia

Don Ottavio : Ben Bliss

Donna Elvira : Gaëlle Arquez

Leporello : Alex Esposito

Masetto : Guilhem Worms

Zerlina : Ying Fang

 

Mise en scène : Claus Guth

Décors et costumes : Christian Schmidt

Lumières : Olaf Winter

Dramaturgie : Ronny Dietrich

Chorégraphie : Ramses Sigl

 

Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris

Chef des Chœurs : Alessandro Di Stefano

 

Direction musicale : Antonello Malacorda

26 octobre 2023 – Don Giovanni (Mozart) à l’Opéra national de Paris (Bastille)
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