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Operaphile

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Comptes rendus de spectacles lyriques... entre autres choses....


11 avril 2022 – Anna Bolena (Donizetti) au Théâtre des Champs Elysées.

Publié par Jean Luc sur 13 Avril 2022, 19:02pm

Catégories : #Opera version concert

En 1830, Donizetti, a déjà composé une trentaine d’opéras mais encore aucun de ceux qui lui assureront la postérité (sauf, peut-être Elisabetta al castello di Kenilworth). Il est toutefois déjà connu et a remporté certains grands succès, notamment avec L'esule di Roma créé le 1er janvier 1828 au Teatro San Carlo de Naples. Les succès napolitains lui valent une commande du Teatro Carcano de Milan, rival éphémère mais prestigieux de La Scala : ce sera Anna Bolena, sur un livret du célèbre Felice Romani.

L’œuvre connut un grand succès à sa création et du vivant du compositeur, identifiée, au décès de celui-ci, comme un des opéras qui lui survivraient. Mais elle disparut néanmoins de l’affiche jusqu’à la réhabilitation du bel canto romantique au milieu du XXe siècle et les interprétations historiques de Maria Callas à la Scala en 1957.

Dans la forme musicale comme dans les ressorts dramatiques, l’œuvre est archétypale du bel canto romantique dont elle porte les premières manifestations. Il ne faut pas sous-estimer la novation qu’elle représente par rapport à la tradition rossinienne et aux recettes en vogue à l’époque. Ecrite spécifiquement pour les interprètes de la création, notamment Giuditta Pasta et Rubini, et pour leurs moyens exceptionnels, elle présente des difficultés techniques redoutables et suppose de ses interprètes des capacités dramatiques hors du commun pour rendre acceptable le déferlement de passions auquel nous sommes conviés : amour, jalousie, violence, trahison, manipulation, culpabilité, folie, mort… Elle illustre parfaitement le gout du XIXe pour la renaissance anglaise et en particulier pour la cour des Tudor :  Anna Bolena appartient à une tétralogie consacrée par Donizetti aux reines Tudor avec Elisabetta (1829), Maria Stuarda (1835) et Roberto Devereux (1837).

Le livret de Romani met en place un superbe et complexe portrait de femme, de reine, dans une intrigue resserrée en deux actes : le premier est consacré à la présentation des personnages et du piège mis en place par Henri VIII. Le second est celui de la mise à mort de l’héroïne dans une ambiance sombre de folie.

Marina Rebeka a offert une interprétation historique d’Anna Bolena et je pense difficile de faire mieux aujourd’hui dans ce rôle, qu’il s’agisse de la technique irréprochable, de la générosité du chant, de la beauté du timbre et des nombreuses couleurs ou encore de ses pianis superbes. La (longue) scène finale était purement extraordinaire, chantée dans un silence impressionnant de cette salle comble. Lee soin méticuleux apporté à la progression dramatique de l’état psychologique de son personnage est remarquable comme l’est son sens des nuances et son usage impeccable de l’aigu et du suraigu, mis au service de l’expression. Elle aborde avec bonheur les trois considérables difficultés de la partition que sont les airs de Bolena : un  « Ah dolce guidami » tout en nostalgie et en mélancolie, un « Cielo : a miei lunghi spasimi » tout de douceur éperdue et un « Copia iniqua » dans lequel elle réussit à concilier imprécations et pardon, dans une interprétation désespérée.

Face à elle, une très grande Giovanna Seymour en la personne de Karine Deshayes qui, avec son timbre rond et ambré, donne une dimension voluptueuse au personnage, dimension qui explique la fascination d’Henri VIII. Elle capte l’attention dès son entrée en scène et elle est totalement bouleversante dans la grande scène de la confrontation avec Anna Bolena au II. Elle se joue de toutes les difficultés de l’écriture avec une aisance déconcertante, mettant elle aussi au premier plan l’intention dramatique.

Le Enrico d’Henri VIII est vénéneux et détestable à souhait. Manipulateur, tyrannique, inaccessible aux sentiments d’autrui, il délivre aussi une grande interprétation même si elle m’a semblé un peu plus monolithique que celle des deux héroïnes féminines. Il domine parfaitement son personnage, sans forfanterie et à l’aide de moyens vocaux importants.

Enea Scala est tout aussi bien distribué dans Percy : un timbre solaire séduisant, beaucoup d’aisance technique, un engagement sans faille et des aigus distribués avec générosité. Seul (petit) bémol, ce chant tout en force et en engagement manque parfois un peu de morbidezza pour ce répertoire. Les « petits » rôles étaient tout à fait à la hauteur de cet excellent quatuor, avec une mention spéciale pour le Smeton d’Héloise Mas dont le timbre de voix est envoutant et dont l’interprétation ce soir donne envie de l’entendre dans des rôles plus importants.

Le chœur de l’Ensemble lyrique Champagne Ardenne a fait preuve à de nombreuses reprises de grandes qualités, notamment dans le très beau prélude à la dernière scène, mais a parfois manqué un peu de puissance et a semblé rester trop discret.

L’orchestre de chambre de Paris était en grande forme et faisait chatoyer cette partition sous la direction très énergique de Maurizio Benini. Très attentif à ses chanteurs, dont il a récupéré avec talent quelques écarts, Il a lui aussi construit une progression dramatique exceptionnelle.

L’ovation du public, très longue, a justement couronné cette remarquable version de concert, effaçant définitivement les quelques déceptions liées aux défections de Sonya Yoncheva et Marianne Crebassa. On aimerait désormais une belle version scénique… Chiche ?

 

Programme et distribution :

 

Gaetano DONIZETTI (1797-1848)

ANNA BOLENA

Tragédie lyrique en 2 actes

Livret en italien de Felice Romani

Créé à Milan (Teatro Carcano) le 20 décembre 1830

 

Anna Bolena : Marina Rebeka

Giovanna Seymour : Karine Deshayes

Enrico VIII : Erwin Schrott

Riccardo Percy : Enea Scala

Rochefort : Mathieu Lécroart

Hervey : Raphaël Bremard

Smeton : Héloïse Mas

 

Ensemble lyrique Champagne Ardenne

Cheffe de chœur : Sandrine Lebec

Orchestre de chambre de Paris

 

Direction musicale : Maurizio Benini

 

11 avril 2022 – Anna Bolena (Donizetti) au Théâtre des Champs Elysées.
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